Les « demoiselles aux pompons rouges », le moulin de Laffaux

les demoiselles au pompon rouge, le moulin de laffauxPourquoi cette dénomination?

Ne cherchez pas un quelconque rapport avec les « belles demoiselles » qui lèvent la jambe lors des « french cancan » du Moulin Rouge, car il n’y a point de pompons uniquement des froufrous.

MOULIN ROUGECommençons par déchiffrer le terme de: « Demoiselles » ?

Il n’y a pas si longtemps, le port de pêche de Lesconil avec ses soixante « Malamoks »  rentraient « plein gaz » les cales pleines de ces délicieuses « demoiselles » qui frétillaient dans les caisses.

arivée des bateauxLesconil était le premier port de pêche de France de langoustines fraiches que l’on appelait « les demoiselles  de Lesconil ».

langoustinesDébarquement des belles demoiselles du chalutier « Roxy » au port de Lesconil

Les chalutiers de Lesconil ont presque tous déserté le port et ce terme de « demoiselles » a été repris depuis par les ports de Loctudy et du Guilvinec…

Pirates !..

Terminons par: « pompons rouges » ?

Peut-être une allusion aux œufs que les femelles portent sur l’abdomen ? Impossible, car les œufs sont verts sur la langoustine vivante. Ils ne rougissent qu’après cuisson.

La comparaison était pertinente, mais osée…

Il y a aussi un poisson que l’on nomme dans le pays bigouden la « Demoiselle ». Il s’agit en fait d’une espèce de « labrus bergylta » qui lorsqu’elle est  coquette est une  « labrus mixtus ». 

Pour être plus clair il s’agit simplement d’une « vieille commune ».

La couleur des vieilles diffère suivant leur environnement et leur habitat.

Et alors ou sont les pompons rouges de la demoiselle ?…..

Les pigments de la peau ?…..

Tout cela n’est pas crédible, il doit s’agir d’autre chose…

« Pompon rouge », il y a sans aucun doute un rapport avec la Marine Nationale ?

Le pompon rouge est le véritable symbole des marins qu’ils portent fièrement sur leur bonnet appelé « bachi ». Toucher le pompon porte bonheur, dit-on…

Plusieurs légendes courent sur son origine, mais ce ne sont que des légendes comme celle de l’Impératrice Eugénie:

Le 9 août 1858, l’Impératrice Eugénie était en visite sur un navire dans le port de Brest. Un très grand matelot, en se mettant au garde à vous à son passage, se heurta violemment le sommet du crâne au plafond de la coursive. Il saignait et l’Impératrice lui offrit son mouchoir en guise de pansement. Ce mouchoir taché de sang , placé sur sa tête, devint alors, en souvenir de son geste, le pompon rouge du bonnet (bâchi) du Marin.

La naissance du « bâchi » avec pompon rouge 

Au début des années 1800, L’ Amiral qui commandait l’escadre de la Méditerranée, voulut distinguer les différents équipages par des pompons de différentes couleurs, réservant la couleur rouge au vaisseau amiral. Il est fort possible que cette mesure fut à l’origine du fameux « pompon rouge ».

Depuis le décret du 1er avril 1808, un pompon orne le bonnet des marins (la couleur varie selon le numéro de la compagnie). Il disparaît en 1825, reparaît en 1856 sur le bonnet de travail sous forme d’une houppette. De nos jours, le pompon est toujours nomenclaturé sous le nom de « houppette » dans le service « Habillement, Casernement, Couchage » (H.C.C.) de la Marine Nationale française.

Pour un besoin technique de finir le fond du bonnet, il apparaît que la confection d’un bonnet se termine par « diminution » par un seul fil de laine et donc une seule couleur… Or la houppette initiale était constituée de fils bleus et rouges. Le « pompon » n’était en fait qu’une façon de finir l’ouvrage de laine, bien souvent tricoté par le marin lui-même. Actuellement, il est confectionné à la main par des ouvrières d’une manufacture de la Sarthe.

Le pompon a un diamètre de 8 cm, pèse 14 grammes et mesure 2,5 cm de hauteur. Il est teinté d’une couleur extraite d’une plante, « la rubia tinctorum », qui lui confère  sa couleur rouge garance.

En 1914-1918, le pompon est très gros et les brins de laine rouge sont collés sur un petit socle de bois.

Le « bâchi » des fusiliers marins ressemblait plus à une galette informe, ramolli et délavé par les pluies.

En fait,  le rapport avec « les Demoiselles aux « pompons rouges » n’est pas évident, même si le lien avec la marine parait plus que probable.

Il y a pourtant une autre piste à laquelle je n’avais jusqu’à présent pas pensé, mais qu’un destin bien cruel est venu me la révéler: les Demoiselles de la Marine.

Les deux goélettes de la Marine Nationale la « Belle Poule » et sa sœur  » l’Étoile » sur qui le temps n’a pas d’âge, qui n’ont pas encore de remplaçantes dignes de leurs prestances sont appelées par les marins « les « Demoiselles ».

Les goélettes sont bien plus que des bateaux: on les appelle « les Demoiselles », car elles sont belles et on leur prête même une âme.
Elles ont su sauvegarder avec intelligence les traditions de la marine à voile et font partie du patrimoine vivant de la Marine nationale.
Aujourd’hui, comme hier et comme demain, elles hissent la toile pour éveiller le sens marin de ceux qui ont choisi de « mettre du sel dans leur avenir ».

C’est par ces quelques mots que Jean-Yves  Béquignon termine cet ouvrage, illustré de magnifiques photos qu’il a réalisées pendant son commandement de la goélette « l’ Étoile », avec d’excellents dessins d’André Rozen, commandant le groupe des goélettes et de la « Belle-Poule » pendant la même période.

Avec Jean Yves Béquignon nous étions Officiers sur le croiseur Colbert durant la guerre du Golfe. Le Capitaine de Corvette André Rozen, aujourd’hui disparu à la barre de son misainier  « Chance Vad » (Bonne Chance)  avait fait une carrière similaire à la mienne. Il était aussi résidant du quartier de Langoguen à Lesconil.

Le misainier « Chance Vad », GV 302809 d’André Rozen.

Ci-dessous le malamok « Chance Vad » des frères Cosquer avant sa déconstruction.

Le Capitaine de corvette André Rozen

Durant son adolescence, André avait été mousse sur le Malamok « Chance Vad » durant les périodes estivales.

Engagé dans la Marine Nationale, il avait fait carrière jusqu’au grade de Capitaine de Corvette. Il avait été commandant du groupe des goélettes.

hommage a A RozenPhoto d’André Rozen sur une très belle aquarelle du Peintre Officiel de la Marine, Michel Hertz.

J’ai rajouté ce paragraphe des «Demoiselles de la Marine» pour rendre un modeste hommage à André Rozen qui habitait à deux pas de mon domicile de dans le pays bigouden sur le port de Lesconil.

Croix de lescoEn fait, l’histoire des « demoiselles aux pompons rouges«  commence au début de la première guerre mondiale.

mobilisation generale 1914Lorsque la guerre de 1914 est déclarée, la Marine française dispose de fusiliers marins inemployés à bord des bâtiments de guerre car les principaux combats sont terrestres.

Pour utiliser ces hommes, il est décidé, le 7 août 1914, de créer une brigade forte de plus de 6000 hommes organisée en deux régiments qui seront les 1er et 2e régiments de fusiliers marins.

ordre de marche du bataillonLa brigade est constituée d’un État-major, des deux régiments et d’une compagnie de mitrailleuses. Chaque régiment est commandé par un capitaine de vaisseau et composé lui-même d’un état-major. Chaque régiment comprend 3 bataillons. Chacun d’entre eux est sous les ordres d’ un capitaine de Frégate. Chaque bataillon est composé de quatre compagnies de deux cents hommes chacune commandé par un lieutenant de vaisseau.

Dans les effectifs on remarque 700 apprentis fusiliers marins très jeunes (jeunes engagés ayant à peine seize ans et demi), des appelés et des réservistes, marins pêcheurs pour la plupart  du dépôt de Lorient. La première mission confiée est la défense de la Capitale et de sa banlieue d’où la garnison habituelle est partie sur le front.

maintient de l'ordre

L’extrême jeunesse des apprentis surprend les Parisiens qui leur donnent le surnom de :

« Demoiselles au pompon rouge »

fusilier marin 1914Des marins pêcheurs ou marins du commerce, qui vont se transformer rapidement en redoutables soldats de l’armée de terre. Le ciré jaune a été remplacé par la lourde capote kaki, les lignes de pêche par la baïonnette et le fusil.

Mon grand-père Pierre Marie Quintric appelé du contingent le 8 décembre 1913 (classe 13) fut affecté dans le bataillon puis dans la brigade des fusiliers marins du 2 avril 1917 au 1er mars 1919.

campagne de guerreMon grand-père Pierre-Marie Quintric

Pierre Marie Quintric fusilier marinMon grand-père et son frère Sébastien Quintric.

Pierre marie sebastien quintricLe commandement de la brigade des fusiliers marins est confié à Pierre-Alexis Ronarc’h qui vient d’être nommé contre-amiral.

amiral ronarc'hPierre-Alexis Ronarc’h est né le 22 novembre 1865 à Quimper.

A 15 ans et demi il est admis à l’École Navale. Il est nommé Lieutenant de vaisseau à 24 ans. Il participe à la campagne de Chine en 1900 en tant que commandant en second d’un détachement français de 160 marins qui résiste à la révolte des boxers. A 42 ans il est le plus jeune Capitaine de vaisseau de la marine française.

Pierre-Alexis Ronarc’h est décédé le 1er avril 1940 à Paris.

Les « Demoiselles aux Pompons rouges » de l’Amiral Ronarc’h

Le bataillon s’est particulièrement  distingué par sa bravoure dans la Somme, à Hailles, du 4 au 14 avril 1918, pendant la bataille de Hangard-en-Santerre, résistant à l’offensive allemande.

La plus belle action de guerre du bataillon , fut l’attaque et la prise du moulin de Laffaux, dans le secteur de l’Ailette, le 14 septembre au 1er octobre 1918.

BAIONETTE AU CANONLe moulin de Laffaux situé près du village éponyme est un lieu hautement stratégique qui domine la vallée de la rivière l’Aisne.

Laffaux est un petit village picard de la vallée de l’Aisne situé sur un plateau entre Laon et Soissons près de la nationale 2. Il comptait en 1914 environ deux cents âmes.

village de laffauxlaffaux 25

Laffaux est le point de départ du « Chemin des Dames » qui correspond à une petite route, actuellement la départementale D18.

chemin des damesPourquoi ce nom  « Chemin des Dames » ?

Ne cherchez pas non plus, après les demoiselles un quelconque rapport avec ces dames qui arpentent les pavés en vendant leurs charmes.

les dames du cheminchateau de la bove au 18 iemeLe château de la Bove en 1914

Le « Chemin des Dames« en 1914

tranchée allemandesOctobre 1914, les fusiliers marins partent au front

front

Pierre Loti, qui a repris du service dans l’armée de terre à l’âge de 64 ans, la marine n’ayant pas voulu le réintégrer, s’offusque du peu de considération de l’État et de la Nation vis à vis de la brigade des fusiliers marins qui dit il n’avaient même pas de drapeau.

Loti entre mer et terreLe 11 janvier 1915, Henri Poincaré remit enfin un drapeau à la brigade.

drapeu des fusmarEn raison de la guerre sous-marine, les be­soins en hommes se faisaient de plus en plus sentir dans les ports, pour l’armement des petits bâtiments, la brigade des fusiliers marins fut dissoute le 10 décembre 1915. Le Contre-Amiral Ronarc’h fut promu Vice-Amiral.

u boote

La Marine conserva un bataillon de fusiliers-marins sur le front (900 hommes).

Le bataillon
Ce bataillon fut formé le 30 novembre 1915.
Ses commandants successifs furent :
– Le capitaine de frégate Lagrenée, jusqu’au 10 avril 1917,
– Le capitaine de frégate de Maupéou d’Ableiges (du 11 avril 1917 au 15 novembre 1917),
– Le capitaine de corvette Monier (16 novembre 1917 au 12 juin 1918),
– Le capitaine de frégate Martel (13 juin 1918 à la dissolution du bataillon).

Le bataillon fut d’abord envoyé dans le secteur de Nieuport, puis il participa aux combats :
– de Possele et Drie-Gratchen du 31 juillet au 16 août 1917,
– de Saint-Jansbeck les 26 et 27 octobre 1917,
– de La Somme, à Hailles, du 4 au 14 avril 1918, pendant la bataille de Hangard-en-Santerre, résistant à l’offensive allemande,

Enfin, sa plus belle action de guerre, l’attaque et la prise de Laffaux, dans le secteur de l’Ailette, du 14 septembre au 1er octobre 1918.

La bataille du moulin de Laffaux en septembre 1918

La reprise du moulin de Laffaux le 14 septembre 1918 d’après le compte-rendu des opérations du 9 au 14 septembre 1918 rédigé par le Capitaine de frégate Martel tiré du « Livre d’Or de la Marine pour la guerre 14/18 ».

« L’ordre n° 69/3 de la Division d’Infanterie prévoyait une attaque sur les positions ennemies depuis la tranchée du Grappin (au Sud-Est du village de Laffaux) jusqu’à la forêt de Pinon.
Pour cette attaque les troupes étaient divisées en 4 groupements :
– 1er groupement : 141 ième Division d’Infanterie,
– 2ème groupement : 3 ième Régiment d’Infanterie,
– 3ème groupement : 2 ième et 3 ième bataillons du 165 ième Régiment d’Infanterie,

– 4ème groupement : bataillon du 165 ième Régiment d’Infanterie et le bataillon de fusiliers marins, sous le commandement du Capitaine de Frégate Martel.

En exécution de ces différents ordres, le groupement qui bivouaquait (1er bataillon du 165 ième à Clamecy et bataillon de fusiliers marins à la Montinette) releva dans la nuit du 9 au 10 septembre le 3 ième R.I. dans la tranchée de départ (grappin) depuis l’ X de Laffaux en contact avec le 165 ième R.I. jusqu’en 90.29 en liaison étroite avec le 169 ième R.I. et dans les positions de soutien en arrière de la tranchée du grappin ».

165-1

Les troupes sont prêtes à l’assaut.

PREPARATIFSL’attaque des fusiliers marins sur Laffaux est fixée à 05h50, le 14 septembre 1918.

Les fusiliers marins, désignés comme troupe d’assaut, dont mon grand-père, Pierre Marie Quintric, sortirent de la tranchée de départ d’un seul élan à l’heure exacte et collèrent au barrage roulant, bouleversant tout sur leur passage ; renvoyant à l’arrière les grenadiers du 3 ième régiment de la 1ère division prussienne d’un seul geste afin, comme l’avaient prescrit leurs capitaines, de ne pas se laisser distraire de leur tâche.

Au court de ce premier assaut, mon grand-père fut blessé à la cuisse. Il se fait soigner et repart au combat.

progression des compagniesA 05H58, huit minutes après, les troupes arrivent au moulin de Laffaux.  A 06 h13 elles sont dans la tranchée du Rouge-Gorge.

debut de l'attaque.jpgA 6h20, les premiers prisonniers envahissent le Poste de Commandement du Régiment d’Infanterie. A partir de ce moment, il en arrivera à chaque instant ; ce sont tous ceux qui sont débusqués des différents nids de mitrailleuses organisés dans les tranchées du Rouge-Gorge, du Môle, du moulin de Laffaux et de Fruty.

tranchées principalesA 7h 45, l’objectif paraît être atteint de la gauche à la droite, mais la résistance au moment de l’arrêt se fait sentir et les troupes supportent des pertes assez sévères surtout à la droite, 3ème compagnie.
Les comptes rendus des capitaines précisent l’action.

A gauche, la 2ème compagnie, sous les ordres du capitaine Valteau, a dépassé de 150 mètres la position pour la purger d’ennemis offensifs qui occupent la lisière du bois de Pinon ; elle les réduit vite et les fait prisonniers : 70 à 80 allemands.

foret de pinonA droite, le terrain à conquérir s’allonge, car la ligne à atteindre est très inclinée sur l’axe de marche ; la 3 ième compagnie (Capitaine Marrast) trouve fortement occupée la tranchée de Fruty; elle perd successivement son lieutenant (enseigne de vaisseau Dubois) et son capitaine ; le troisième officier (officier des équipages Péron) a déjà été blessé; elle reste commandée par un adjudant (premier-maître Potin) qui fait preuve, dans ces circonstances, de sang-froid, de capacités techniques hors de pair et d’aptitude au commandement. Il combat l’ennemi, se met en liaison à droite (169 ième Régiment d’Infanterie) et recherche le contact perdu à gauche. Il réussit à se maintenir dans une position très critique.

Lorsqu’à 8h10, les renseignements me parviennent au Poste de Commandement du Régiment d’Infanterie. Je décide de porter mon Poste de Commandement plus en avant.

poste radio a galèneLe chef de bataillon des fusiliers marins,le lieutenant de vaisseau Anger, m’a informé par radio. Mon plan est de le rejoindre.

Jusqu’à la tranchée du « Grappin », aucune difficulté, mais à partir de ce moment, le bombardement est général et la progression devient compliquée pour une liaison aussi forte.

Sur la route de Maubeuge que nous avons ralliée pour chercher le Poste de Commandement Anger, nous sommes pris à parti par des mitrailleuses qui nous obligent à procéder de trous d’obus en trous d’obus. Nous obliquons suivant l’axe de marche (Nord-Est) sans avoir pu apercevoir le commandant du bataillon.
Chemin faisant, nous rencontrons le premier officier blessé du bataillon, soutenu par un prisonnier : c’est le lieutenant de vaisseau Feuillade qui a la cuisse gauche traversée par une balle de mitrailleuse et qui gagne le P.S (poste de secours). Il a laissé le commandement de sa compagnie à son lieutenant blessé lui-même légèrement (enseigne de vaisseau Péron Paul). Nous nous arrêtons d’abord dans la tranchée de Fruty.

carrieres de FrutyJe me mets à la recherche du capitaine de la 2 ième compagnie, lieutenant de vaisseau Valteau, blessé mais qui a gardé le commandement de sa compagnie et qui se trouve au voisinage. J’espère avoir par lui des renseignements sur l’emplacement des troupes.

Nos recherches sont vaines et dangereuses. Je suis obligé, en compagnie de mon officier adjoint, de faire de fréquents arrêts dans des trous d’obus pour éviter les obus et les balles de mitrailleuses.

Pendant ce temps, le commandant Durand a découvert un abri bétonné vers lequel nous nous dirigeons et que nous atteignons sains et saufs. Il est 10h05.

Cet abri, dont la mitrailleuse est abandonnée au dehors, a dû être nettoyé par les éléments Valteau.

A 13 heures, les premiers renseignements commencent à me parvenir, c’est le commandant Legret du 169 ième Régiment d’Infanterie qui m’annonce qu’à 6h50 il était en liaison à gauche avec la 3 ième compagnie de marins.
A 13h50, le capitaine Valteau passe à mon poste de Commandement et me rend compte de la situation. Il a été dépassé par le 165 ième (1er bataillon), mais celui-ci n’a guère progressé et ne doit pas être à plus de 3 à 400 mètres en avant du Poste de Commandement.

positions acquisesJe rédige un message au colonel Le Bouhelec pour lui rendre compte que la progression est arrêtée et que les troupes sont trop éprouvées pour pouvoir la reprendre.

Puis, ayant constaté que je suis tout à fait à l’avant-garde des positions et qu’une contre-attaque un peu vive bousculerait le commandant et son État-major, je décide de me replier et de regagner Le Poste de Commandement du Régiment d’ Infanterie à la carrière.

En arrivant au Poste de Commandement de la Carrière, après une marche difficile, j’apprends que le bataillon de fusiliers marins doit être relevé sur sa position par le 1er bataillon du 165 ième Régiment d’Infanterie.

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Bilan de la journée pour le groupe d’assaut Martel

Le bataillon d’assaut composé du bataillon de fusiliers marins et d’une compagnie de nettoyeurs du 3 ième Régiment d’Infanterie auxquels était adjointe une section de lance-flammes s’élançant à 05h50 exactement le 14 septembre atteignit son objectif en même temps que le barrage roulant ; il déblaya 120 hectares de terre française occupée par l’ennemi, enlevant sur son passage le Moulin de Laffaux, une défense composée de cinq lignes de tranchées organisées, et occupant les carrières de Fruty en faisant de nombreux prisonniers sur son parcours et en fin de course dégageant une grande quantité de matériel de guerre représentée par des mitrailleuses, des fusils, des munitions et des objets d’équipement auxquels il convient d’ajouter un canon de 77 et un mortier de 77 pris par la 3 ième section de la 3 ième compagnie à l’est, dans la tranchée de Fruty.

positions allemandes de LaffauxLe capitaine de frégate de réserve Martel conclut son rapport par ces lignes:

« Ne visant qu’au but à atteindre, aucun d’eux n’a regardé en arrière ; animés du même désir de vaincre, ils ont bousculé l’ennemi sur une bande de terrain de 600 mètres de large et de 1900 à 2150 mètres de profondeur, et ne sont arrêtés qu’au terme assigné par le commandement. Je ne puis m’empêcher de relater l’expression d’enthousiasme qu’ils tirèrent d’un de leurs capitaines ayant plus de 3 ans de front dans les régiments d’infanterie : « Ils tirent même en marchant ».

« Ils ont soulevé l’admiration des troupes voisines avec lesquelles ils collaboraient.
Sans examiner maintenant en détails les actions d’éclat et les traits d’héroïsme qui se sont manifestés et que j’exposerai plus tard en demandant qu’ils soient récompensés, j’ai le droit d’affirmer hautement que les fusiliers marins ont maintenu la bonne renommée de bravoure qu’ils s’étaient acquise antérieurement dans les annales de la guerre ».

Signé : Martel

Rapport du lieutenant de vaisseau Anger, Commandant le bataillon de fusiliers marins, pour les opérations de la journée du 14 septembre.

« J’extrais du rapport du capitaine Valteau ce qui suit : « Nos hommes attaquant avec beaucoup de mordant, les positions allemandes comprenant 5 lignes successives de tranchées et le Moulin de Laffaux furent enlevées très rapidement. L’ennemi fortement bousculé ne se défendit que faiblement 50 minutes après l’attaque. L’objectif final de la compagnie, la tranchée de Fruty était atteint ».
« Dès notre arrivée à cet objectif, nous dépassions ce dernier pour attaquer un groupe ennemi d’environ 100 hommes qui, de la partie du bois placée au nord de la tranchée de Fruty, nous mitraillait avec vigueur. Après 3 bonds de 50 mètres et une charge à la baïonnette, la partie du bois était à nous ainsi que 70 prisonniers. Le bois purgé d’ennemis, nous reprenions en bon ordre nos emplacements d’arrivée dans la tranchée de Fruty, en liaison gauche avec le 165 ième R.I. et à droite avec des éléments de la 1ère compagnie. »
« La 3 ième compagnie a rencontré de la résistance dans le bois du Moulin et le bois de Fruty ».
« La 1ère compagnie, en soutien de bataillon, avec un peloton équipé de lance-flammes était spécialement chargée de dégager les carrières de Fruty. Cette opération terminée, la compagnie s’établissait dans des trous d’obus ».
« La section de réserve, a dû appuyer la gauche de la 2  ième compagnie pour battre l’ennemi en retraite dans la direction du Mont de Laffaux ».
« Une des pièces a été mise en batterie à l’entrée d’un abri où se trouvait un fort détachement de 150 à 200 hommes qui ont été faits prisonniers ».

Il conclut par ces mots :
« En cette journée du 14 septembre 1918, le bataillon de fusiliers marins, sortant des tranchées avec une bravoure et une coordination remarquables, a donné l’exemple de l’obéissance stricte et efficace aux ordres reçus. Il a conquis le Moulin de Laffaux où l’ennemi avait placé des troupes d’élite, mettant un point d’honneur à garder ce sommet historique, tête du Chemin des Dames. »
Signé : Anger

Liste des pertes pour la seule journée du 14 septembre 1918

Officiers:

– 3 tués : Lieutenant de vaisseau Marrast, Enseigne de vaisseau de 1ère classe Dubois, Enseigne de vaisseau de 1ère classe Le Breton,

– 6 blessés : Lieutenant de vaisseau Feuillade, Lieutenant de vaisseau Ladonne, Enseigne de vaisseau de 1ère classe Jeannin, Enseigne de vaisseau de 1ère classe Renon, Officier des Équipages de 2 ième classe Russef, Officier des Équipages de 2 ième classe Péron Gilles,

– 2 blessés non évacués : Lieutenant de vaisseau Valteau, Enseigne de vaisseau de 1ère classe Péron Paul.

Officiers-mariniers et marins:

– 36 tués ,

– 14 disparus,

– 142 blessés évacués,

– 12 blessés non évacués,  dont Pierre Marie Quintric, mon grand-père.

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Le 24 septembre, comme un bout de la tranchée de Fruty est encore occupé par l’ennemi, une section de la compagnie, sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Le Grand, décide un coup de main pour s’en emparer. On se battit avec acharnement à la grenade pour avoir ce bout de tranchée qu’on occupa définitivement. Trois fois les Allemands contre-attaquèrent et furent repoussés, une quatrième contre-attaque très forte parvint à chasser les marins qui n’avaient plus de munitions, ayant même usé toutes les grenades allemandes qu’ils trouvèrent sous la main. L’enseigne de vaisseau le Grand fut tué.

citation de PetainLe 28 septembre, les allemands décrochent, poursuivis jusqu’à quelques centaines de mètres de l’Ailette.

Le 29 septembre, la 1ère compagnie tenta le passage du canal sans être sérieusement soutenue à droite, mais dut y renoncer devant une contre-attaque puissante déclenchée par l’ennemi, au cours de laquelle l’enseigne de vaisseau de 1ère classe Péron, commandant la 1ère compagnie et l’officier de 2ème classe des Équipages Abaziou, commandant la compagnie de mitrailleuses, furent tués en même temps qu’un grand nombre de leurs hommes.

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 CITATION A L’ORDRE DU BATAILLON

Il fut décoré de la croix du combattant et obtint une citation à l’ordre du bataillon signé du Capitaine de Frégate Martel, Commandant le bataillon.

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les marins du bataillon recevant leurs décorations

Les pertes considérables du bataillon. Le bataillon de fusiliers-marins perdit près de la moitié de son effectif (430 tués et blessés), les trois quarts de ses officiers (18). Il faut souligner que les officiers du bataillon chargeaient à la tête de leurs troupes pour montrer l’exemple, ce qui était plutôt rare à l’époque.

La FauxLe bataillon après avoir été relevé par le 165 ième régiment d’infanterie, quitte les tranchées du grappin, les carrières de Fruty, le devoir accompli. Ils laissent derrière eux le moulin et le village de Laffaux en ruine, comme en témoigne les photos ci dessous.route vers le moulin

RESTES DE L'EGLISELe 1er octobre, le bataillon des fusiliers marins est envoyé au repos.

Le 8 novembre, le général Deville, commandant le 16 ième Corps d’Armée organisa à Vervins une entrée solennelle des fusiliers marins et du 165 ième régiment d’infanterie.

Le 11 novembre, jour de l’armistice, le bataillon était à Tenailles.

Le 8 décembre, à l’entrée triomphale des troupes françaises à Metz, le bataillon était représenté par un détachement de 100 hommes servant de garde à son drapeau.

Ordre n° 87 en date du 17 février 1919 du Général Barthélemy, Commandant la 29ème Division d’Infanterie
« La 29ème division perd son bataillon de Fusiliers Marins. Trois ans de souffrances communes, de dangers partagés, de glorieux combats menés côte à côte, ont créé entre le bataillon et les autres unités de la Division des sentiments d’inaltérable estime et de profonde sympathie. Son départ sera vivement regretté par tous ».
En saluant une dernière fois le drapeau du Bataillon, le Général commandant la 29ème division tient à rendre hommage à l’esprit d’absolu dévouement, d’abnégation et d’héroïsme dont les officiers et marins ont toujours fait preuve au cours de cette longue campagne.
« Dixmude, Nieuport, Poesele, le Saint-Jansbeck, Hangard, le Moulin de Laffaux en marqueront, pour les Fusiliers Marins, les étapes glorieuses ».

Signé : Général Barthélemy

Les marins rescapés montraient fièrement leur « bâchi » au pompon rouge en exhibant les casques à pointe pris aux allemands.

bachi

Je me souviens que mon grand-père avait beaucoup de déférence envers l’Amiral Ronarc’h, le capitaine de Frégate Martel ainsi que les autres officiers de la brigade et du bataillon qui se battaient au milieu d’eux, simples marins pêcheurs, appelés mobilisés devenus de féroces combattants.

petainLe bataillon rentra à Lorient le 14 février 1919 sous les acclamations de toute la population, puis fut disloqué, ne conservant qu’une seule compa­gnie. C’est sans doute celle-là qui participa aux fêtes de la Victoire les 13 et 14 juillet 1919 et défila sous l’Arc de Triomphe.

Retour du bataillon à Lorient

lorient

De retour à Lesconil mon grand-père se maria en tenue de fusilier marin avec Anne Marie Charlot le 20 janvier 1919.

Image6On peut remarquer qu’à cette époque, la coiffe bigoudène n’avait pas encore la hauteur de celles des années 1950/1960.

Mon grand-père, après une dernière affectation à l’ École Navale  fut démobilisé le 2 septembre 1919.

Pierre-Marie Quintric, un appelé de la « classe 13 »
Du 2 aout 1914 au 2 septembre 1919, il a passé 5 années et 1 mois sous les drapeaux.
Cinq années en campagne de Guerre, dont 25 mois dans les combats de la Somme et du chemin des Dames, ce qui est absolument inimaginable et démentiel.

Au retour à la vie civile, avec son frère, ils firent construire à Lesconil un misainier pour la pêche aux crustacés entre l’archipel des Glénan et la pointe de Penmarc’h.

carte de combattantMaquette du misainier « le Laffaux » de Lesconil

laffaux (2)Ils avaient tellement souffert durant la guerre dans le bataillon des fusiliers marins qu’il était logique et normal de nommer leur bateau « LAFFAUX » en souvenir de cette mémorable bataille.

C’était surtout pour perpétuer la mémoire de leurs camarades qui avaient péris autour de ce moulin. Tous les deux, ils s’en étaient sorti sans trop de dommage, un vrai miracle au vu du grand nombre de tués et de blessés du bataillon.

laffauxLe Laffaux immatriculé dans un premier temps à Quimper navigua pendant près de trente années de janvier 1920 à septembre 1949.

PM Quintric

Les misainiers de Lesconil

les bateaux de lesconil

Louis Aragon

Aragon

listes des morts du bataillon septembre 1918La plupart de ces fusiliers marins étaient d’origine bretonne, marins des différentes marines (Nationale, Marchande et Pêche).

monument

Le « Menhir » de Laffaux

monument des fusiliers marins de LaffauxChant de marche des fusiliers-marins

chant des fusiliers marins Chaque année une cérémonie de commémoration du combat des fusiliers marins a lieu devant le « menhir » érigé à la mémoire  des fusiliers marins

ceremonie laffaux2Le village de Laffaux fut décoré de la croix de guerre et citée au journal officiel 28 octobre 1921. La commune de Laffaux est prise par les Allemands, le 1er septembre 1914 et pendant 4 ans sera le théâtre sanglant de rudes combats, d’où sa destruction totale.
Différents régiments ont combattu à Laffaux donnant un bel exemple d’inébranlable confiance dans la victoire. Deux monuments furent érigés sur la commune de Laffaux :
– Celui des « Crapouillots » en l’honneur des artilleurs de l’armée de terre ( le crapouillot était le nom donné au mortier car la trajectoire de sa munition ressemblait à celle d’un saut de crapaud).
– Celui des fusiliers marins élevé en 1938 dédié aux marins du bataillon

monuments laffaux

Pierre Marie Quintric

CF JCQ